Pour la première fois de ma vie, je me retrouve dans un train en direction de la "perle du Sahel", pour rendre visite à la perle de mes amies, pour voir ma Lili. C'est une fille que j'ai connue depuis quelques années sur un forum, mais notre amitié remonte à un peu plus d'une année. Je me rappelle du premier coup de fil c'était au mois de Ramadan, l'avant dernier, j'avais osé.. je voulais faire la connaissance de cette voix qui commençait à prendre toute cette ampleur déjà, je voulais entendre l'écho de mon amie, passer du virtuel à un semblant de réel et de vie..
Passent les mois, ma Lili décide de sauter le pas, elle allait venir jusqu'à moi, à Tunis, où je travaille, c'était aux premiers mois de la révolution. Elle était bouleversée par le spectacle désolant de l'avenue Habib Bourguiba, champ de guerre, encore hostile, et barbelés .. j'étais ravie de faire la connaissance de cette enveloppe extérieure d'une personne extraordinaire, mais le temps hélas nous manquait, il a fallu que je rejoigne mon bureau désolé, où je n'avais plus rien à faire désormais ..
Deuxième rencontre cette fois à trois dans la belle, l'incontournable Sidi Bou Said. Au café des délices nous nous sommes installées, c'était un moment de détente entre amies, comme je ne l'avais jamais espéré. Je découvre une Rima très gentille et une Lili charismatique, voilà ma conclusion sur le chemin du retour, quand le train de la banlieue nous emmenait vers un nouvel adieu, c'était le compte à rebours ..
Adieu ? Pas si sûr ! J'allais revenir ou plutôt venir. J'avais décampé de Tunis, désormais je travaille à Bizerte et j'ai plus de temps libre que prévu, c'est l'effet révolution, destruction,... Mon amie m'invite à lui rendre visite chez elle, elle a tout prévu, elle m'a installé un lit près d'elle, près de ma Lili, .. Pourtant j'étais stressée, paresseuse invétérée, je redoutais le voyage, le lever tôt, j'hésitais entre bus et train, de toute façon je n'ai plus le choix, j'ai raté le premier, va pour le second.
Je m'installe, j'ai un bon livre, "ce que le jour doit à la nuit", jambes croisées, je baisse les stores, j'avale les lignes de ce roman accrocheur, je croque dans ma pomme, je suis enchantée, il n'y avait que l'angoisse de rater ma station qui me gênait, et aussi mes habits, il faisait plus chaud que prévu, mais qu'importe ! Arrivée enfin je la trouve, la même avec sa tenue rigoureuse et son sourire radieux, me prenant par le bras m'entrainant dans cette biblio, on s'offre deux livres et on s'en va direction la plage, la mer, on adore ! Le temps de prendre quelques photos, d'inspirer l'air frais, de jeter quelques regards obliques à l'encontre de ces couples mal intentionnés et puis on va manger ..
Fatiguées, on est rentrées à la maison, une très belle demeure vaste et blanche, d'être là ça m'enchante, ça me change. On pensait sortir à nouveau, mais on n'a pas vu le temps passer à se raconter des histoires de filles, c'était charmant. J'avais le sentiment de remonter le temps à mes années d'étudiante, quand on se retrouvait entre filles dans une chambre à plusieurs lits.. Je suis une casanière de nature, je ne demandais qu'à rester dans l'abri de la casa à Lili, je voulais juste profiter de sa compagnie, je me foutais de voir les sites touristiques, la mer, la beauté je les connais, je viens de Bizerte. Je suis venue pour voir ma Lili, pour la découvrir et mieux la chérir..
Et justement je l'ai découverte, loin du voile de mon écran, loin du bruit de la rue, dans l'intimité de sa chambre, j'ai découvert une personne très forte, une ancienne combattante, une étudiante en médecine encore marquée par les nuits blanches et les sacrifices des années d'étude, des mois de révision pour passer le concours de sa vie, un énième examen qui ne lui laisse pas de répit, je vois une personne fatiguée aussi .. fatiguée d'attendre un résultat décisif, fatiguée d'être au four et au moulin, d'assumer son rôle de tante, et de fille, fatiguée par ces débats à propos de .. célibat .. une fille marquée par les années et l'oubli ..
Car elle s'est un peu oubliée ma Lili en essayant de construire son avenir et sa vie, elle s'est consommée sans merci, pourtant elle est capable, intelligente et raisonnable, je la regarde et je vois une personne réaliste, terre à terre, pas vraiment sentimentaliste. Je regarde la Lili et je vois les marques de la solitude, la benjamine de trois garçons, malgré les photos du lycée où elle est toujours entourée de 4/5 amies, aujourd'hui, dans sa chambre elle est seule quand elle prie .. entourée de livres islamiques elle cherche le bonheur spirituel, avec des oeuvres psychologiques elle cherche à comprendre l'autre, à se découvrir soi-même, à maitriser le mode d'emploi pour réussir dans la société, pour s'en sortir avec le minimum d'incompréhensions, de malentendus, de déceptions ..
Une Lili raisonnable face à une Prima un peu fofolle, voulant s'aventurer dans la nature, prendre des photos dans de drôles de postures, pas question maman Lili lui oppose un non catégorique, mais elle a dit oui pour une croisière au port El Kantawi, l'homme qui nous a proposé son service était un chiite faisant du prosélytisme mal assumé, reniant les faits quand je l'ai arrêté net, mais ma Lili a été souriante et patiente, carrément charmante, elle l'écoutait, lui répondait, moi j'étais dégoutée, de ce menteur reniant les faits, fout moi la paix, va au diable espèce de "dérangé", laisse-nous respirer l'air enjoué de cette aventure qui se profilait à l'horizon de notre jeune amitié..
La croisière était tout simplement magique, c'était la deuxième fois que je faisais cette expérience, mais cette fois Lili était avec moi, voilà toute la différence. Une musique house très sympa, le soleil réchauffant nos coeurs, le vent défaisant nos vêtements, quelques touristes aux regards pas trop insistants, la mer bleue d'un bleu très bleu, un ciel décoré par quelques nuages timides et légers, voilà le menu, après l'engouement premier, on s'est assagies, assises par terre, on n'osait plus parler, chacune plongée dans ses méditations face à une mer étincelant sous les reflets luisants d'un soleil insolent pour cette fin de novembre 2000-onze ans.
J'ai passé d'excellents moments en très bonne compagnie avec Lili et son, mon amie le temps d'un déjeuner super bon, dans un resto où l'on toise les fumeurs, c'était un réel bonheur. La maman à Lili super gentille insiste pour que je reste, mais il fallait partir, aujourd'hui il pleut, et dans mon coeur il fait un peu bleu, partagée entre l'envie de retrouver les miens, ma Bizerte natale qui me manque chaque fois que je m'en éloigne trop, et l'envie de tenir encore compagnie à ma Lili qui attend, qui a peur, qui est seule dans cette vaste maison blanche, où ça sent bon le pain cuisiné par maman, ...
Le train va bientôt être là, le train est finalement toujours là jamais las de passer sous la fenêtre de Lila, on se dépêche, elle insiste pour tenir mes caisses, avec des cadeaux, dehors il ne faisait pas beau, Lili n'aime pas la pluie.. quand elle lui tombe dessus, elle est encore fatiguée, traumatisée par tant de souvenirs et de sacrifices à la faculté .. le train est en retard, puis il est là, son bruit annonçant un adieu prochain, ou un au revoir, on s'embrasse, on se sourie, et puis je me précipite vers la porte au loin, j'ai voulu me retourner vers elle pour la saluer une dernière fois juste avant de monter, comme dans les films, mais la fille derrière moi, me colle au dos, je monte déçue puis le train passe, je croyais que Lili était partie, mais non elle était là, elle ne bougeait pas, c'est comme si elle voulait s'assurer que son amie a trouvé une place, ce n'était pas le cas "hélas", j'étais très émue de la voir, debout regardant le train de ses yeux sévères, réalistes, de ce regard un peu triste ..
Je me suis avancée cherchant où m'installer, je me suis retrouvée en première classe, un compartiment trop chaud pour être classe, je m'installe, tant pis si le contrôleur arrive, je payerai la différence (aussitôt pensé, aussitôt fait) je reprends ma lecture, je croque dans mon roman, je pleure par moments, l'histoire est tellement écrasante, imposante, bouleversante. Arrivée enfin à Tunis, je déteste ce que je vois, ce que je sens, ce que je sais, .. enfin soulagée j'arrive à Bizerte, j'envoie un texto à Lili, avant que mon téléphone ne succombe, et puis j'ouvre la Face de mon Book parce que désormais j'ai vu et humé cette Lili forte, charismatique, raisonnable, rationnelle mais fatiguée et seule comme je ne l'aurais jamais imaginé, car on n'en sait jamais assez quand on est terré derrière son foutu de PC.