4/27/2012

Le sourire de Fatma



Fatma était en train de faire la prière à la maison, quand des pensées nouvelles lui ont surgi à la tête :

Pourquoi quand je fais la prière je porte cet habit large et je me couvre de la tête aux pieds ? 

Et pourquoi les femmes au pèlerinage portent-elles cette même tenue ?

Si l'on s'habille de la sorte quand on s'approche de Dieu, et qu'on entre en contact avec Lui via la prière et dans les lieux de culte sacrés, pourquoi donc enlever cet habit ailleurs ? Dieu n'est-Il pas Omniprésent ? 

Pourquoi devrais-je me défaire de cette tenue quand je sors dans la rue ? Dieu est là, n'est-ce pas, Qui me voit !

Je porterai le voile, c'est décidé cette fois !

Et Fatma heureuse et tremblante comme un enfant  à la veille d'un aid, est sortie d'un pas léger pour acheter un foulard, son premier ! C'était un foulard bleu avec des motifs blanc, un peu comme un ciel bleu parsemé de nuages cotonneux, c'était son nouvel horizon.

De retour à la maison, Fatma se tient devant le miroir, un large sourire aux lèvres, elle entame son premier essai, elle va essayer de fixer le foulard comme ces voilées qu'elle voit dans la rue, partout, à la télé. Une fois que c'est fait, elle soupire en s'enveloppant d'un regard presque maternel, c'est ça ma grande, tu l'as fait, tu n'as que trop longtemps hésité, et soudain Fatma a senti le regret la foudroyer ..

Fatma pensait à toutes ces années qu'elle a perdues à désobéir, à se laisser aller. Elle pensait qu'elle avait raté la moitié de sa vie, la trentenaire qu'elle était pleurait sans bruit. Heureusement qu'il y avait son mari ! Il était fou de joie à sa vue, il n'en revenait pas de sa décision si longtemps attendue. Que de fois l'a-t-il incitée à s'engager, maintenant surtout qu'on a chassé la peur, que c'est devenu libre à tout le monde de porter "l'habit sectaire", elle ne l'a pas écouté Fatma, elle a écouté son coeur. Elle a enlevé le voile de ses yeux pour le mettre ailleurs, sur sa tête, comme ça la vue est parfaite. Comme elle voit bien désormais, mais la vérité lui fait mal, sa lumière est éblouissante et c'est normal.

Le mari de Fatma qui devait sortir avant elle au boulot, n'a pas pu quitter la maison, en ce lundi matin. Non il voulait assister à cette scène tant attendue, à cet espoir longtemps dorloté et nourri de voir sa bien aimée sortir en tenue de voilée. Il la regardait pantois se préparer, il l'aida même à poser le foulard, ah c'est compliqué pour la débutante qu'elle était, mais ils se marraient de leur maladresse, ils sirotaient ce moment magique de complicité, qu'y a-t-il de plus mignon, de plus beau, qu'un mari aidant sa femme à fixer son voile, à se parer pour plaire uniquement à Celui qui l'a créée en se conformant à Sa parole inébranlable !

- Voilà qui est fait, à bientôt chéri et bonne journée !

- Ah la journée est excellente ! Je suis fier de toi ma grande !

Fatma sourit, ouvre la porte et fait son premier pas hors de la prison, aujourd'hui elle est libre, et tout le monde sera au courant ! 


Spéciale dédicace à ma collègue et amie : Fatma qui a sauté le pas :) 



4/24/2012

Une vision



Je me suis arrêtée au kiosque, je m'impatientai de la file qui était devant moi, quand vint mon tour. Pendant que l'homme s'affairait à sa tache, je regardais devant moi d'un air absent, je voyais un corps bouger mais je manquais de concentration. Enfin je me suis réveillée de mon songe en constatant la singularité de cette silhouette qui se tenait à quelques mètres de moi, et qui regardait dans ma direction. Les cheveux ébouriffés étaient gris, je ne sais pourquoi j'ai cru d'abord que c'était une femme aux cheveux courts. Quelque chose dans sa façon de bouger me semblait familier. Puis, dans un élan de lucidité, je me suis rendue compte que j'étais en train de regarder un petit homme, au corps difforme, presque un nain.. Enfin l'espace de deux secondes, la réalité m'a frappée de plein fouet, cet homme je le connais, c'était mon ancien bourreau. Je le revoyais dans son costume noir, occupant son nouveau poste de secrétaire général, la main droite du directeur, la main invisible du dictateur !

C'était il y a neuf ans, il y a un siècle, il y a une éternité. Dans cette école préparatoire oubliée, j'étais en deuxième année, je me suis voilée, et on a violé ma liberté. Cet homme là, ce fantôme du passé se faisait un malin plaisir de m'importuner. Maman prof de français, a eu ses enfants comme élèves au lycée et ce détail précieux,  au lieu de jouer en ma faveur me faisait défaut. L'homme connaissait par coeur mon nom, maman, mon père, c'était plus facile de m'appeler que d'appeler une autre. De toute façon on n'était pas nombreuses, tout le monde nous connaissait, on était comme des criminels recherchés, des  hors la loi, les rejetons condamnés d'une société sans dignité. Moi surtout il ne cessait de me traquer, et avec son sourire bon enfant, l'air de rien, il me demandait de renoncer au voile qui avec mon corps ne faisait plus qu'un ! 

Je me rappelle tout particulièrement de ce jour où j'ai décidé que j'allais sortir pendant la récré, que j'en avais marre de me cacher comme une chauve souris à l'ombre de la salle de classe, de ce défaitisme j'étais bien lasse. Alors je suis sortie, pour respirer l'air frais, un peu de soleil, un brin de liberté. Quand je me suis rassasiée, de retour en classe, soupirant de satisfaction, quelqu'un est venu me chercher, on m'a vue déambuler librement dans les recoins de l'école, comble d'obscénité. Les mouchards ne manquaient pas, M. m'appelait, il fallait que cette hors-la-loi apprenne les bonnes manières, qu'elle sorte cheveux découverts !

Je suis allée, j'avais peur, j'avais 20 ans, j'étais enfant, je ne savais pas mes droits encore moins mes erreurs ! Qu'ai-je fais encore ?! Je priais en traversant la cour, je répétais cette prière : 

يا مقلب القلوب والأبصار ثبت قلبي على دينك وعلى طاعتك

اللهم ثبتني بالقول الثابت في الدنيا والآخرة

Arrivée devant le petit nain, il m'a accueillie sourire en coin, me demandant si je n'allais pas arrêter enfin avec mes habits sectaires, et là devant la secrétaire, devant moi même, je me suis entendue crier que ma tenue n'a rien de sectaire, qu'il aurait raison si j'étais tout habillée en noir, je lui montrais mon chapeau signé Nike Air, je lui demandais si avec un chapeau américain, on ose me critiquer enfin ! J'étais en ébullition, mon indignation était trop forte, la peur s'est éclipsée par la petite porte et s'est infiltrée dans les yeux désabusés de ce pauvre esclave de son inculte de président prochainement détrôné. Il n'a rien trouvé à dire, s'est contenté d'un sourire stupide alors je l'ai quitté triomphante. Je n'arrivais pas à croire que cette fois j'ai gagné, que la prière a eu un effet instantané, j'avais trouvé les mots qu'il fallait pour l'intimider, Dieu merci ... 

Mais ça n'a pas toujours été ainsi .. et qu'en est-il aujourd'hui ? Le voilà devenu si vieux, cheveux gris, habillé très modestement, s'agitant près de sa deux chevaux aussi désolée que sa gloire partie en fumée, surprise par la volonté de Dieu le Tout Puissant. Mes yeux se voilèrent, je ne m'attendais pas à voir mon ancien bourreau dans cette posture .. sa silhouette déformée faisait déjà pitié, et c'est tout ce que j'ai ressenti pour lui finalement : la pitié, non sans un léger soupir de satisfaction premier. Je me sentais jeune, forte, bien installée dans la voiture de maman, et surtout habillée de cet "habit sectaire" tout en noir que j'ai acheté à la Médina, librement. J'étais émue, mes anciennes souffrances me sont remontées à la gorge, le spectacle désolant de cette pauvre créature réduite au néant, et puis cet "Allah akbar" retentissant. L'appel à la prière du Maghreb, c'était tellement propice au moment, c'est ça : Allah akbar, et j'ai murmuré presque machinalement : 

الله أعلى وأكبر على كل من طغى وتجبر

Enfin le spectre s'est installé dans sa voiture et s'est évaporé, tandis que je continuais dans mes contemplations, Allah est plus Grand ! Allah est infiniment Grand !!

Cher journal

Cher journal En ce temps de sécheresse artistique et d'absence de vrais tourments et de réels "problématiques" dans ...