4/01/2011

Brave heart



J'étais en classe, en terminale d'école d'ingénieurs, quand elle arriva. On était une quinzaine de "fidèles" à regarder ce pseudo prof d'informatique parachuté à la fin du semestre quand elle fit irruption dans la salle de classe. Elle était maigre et chétive, je la dépassais d'une bonne tête malgré ses chaussures à talon. Son visage d'habitude si doux et souriant était à présent déformé par la haine et la détermination .. la détermination à me faire du mal et m'humilier. Elle m'a regardée en face puis m'a demandé de quitter la salle.  Le sang s'est gelé dans mes veines, le temps s'arrêta, mon Dieu quelle humiliation ! Pourtant je me suis levée d'un bond, j'ai ramassé mes affaires rapidement et d'un pas ferme et décidé, j'ai quitté la salle sous son regard sévère et insolent. Vous vous demandez peut être quel mal ai-je fait pour mériter ce châtiment ? Et bien j'étais voilée, voilà tout mon crime. Mais surtout tunisienne car on était le seul pays arabe à souffrir d'une telle infamie : une guerre déclarée contre les voilées ! Bien sûr on ne les appelait pas ainsi ,on ne parlait jamais de voile ou de hijeb, on parlait toujours "d'habit sectaire". Je me rappelle encore de la première fois où j'ai entendu ce mot magique, j'en ai souri, j'ai bien rigolé à la face même de celui qui me l'a énoncé, je lui ai dit mais où-êtes-vous allés chercher ça ? Quelle niaiserie !

Je suis donc sortie la mort dans l'âme et je me suis réfugiée dans un couloir. Les réflexions et les émotions se succédèrent. D'abord j'étais soulagée, je me suis dit que ce n'était pas très difficile à faire finalement, de quitter la salle. Ensuite je me suis juré de ne pas verser la moindre larme et de rester forte, fière et digne.  Mais finalement quand j'ai réalisé la laideur de ma situation, j'ai eu beaucoup de mépris pour le professeur qui n'a fait aucun geste pour me soutenir dans mon DROIT absolu d'assister à son minable cours, j'en voulais aussi à mes camarades de classe, et plus particulièrement les garçons ! On n'était pas nombreux certes mais ils ne se sont pas conduits comme des hommes. J'eus été un homme je n'aurais jamais laissé passer cette scène horriblement injuste et ridicule sans broncher ! Mon dépit était d'autant plus vif que je me suis rappelé de ce qui s'est passé il y a trois ans quand j'étais étudiante en deuxième année préparatoire. A peine sommes-nous installés à l'amphi et que l'excellent prof d'analyse allait entamer son cours, animé par son dévouement habituel aux étudiants venus de toutes les classes  profiter de son "spectacle",  que le directeur de l''institut a pointé sa face détestable pour demander à une camarade voilée de quitter la classe. Cette fille était son ennemie jurée puisqu'elle était la première à  porter le voile. Elle n'était pas belle, mais elle n'hésitait pas à mettre d'horribles chapeaux  plus laids les uns que les autres pourvu que son voile soit politiquement correct, ajoutez à celà sa grande taille et son air de mépris et d'indifférence envers le monde et le qu'on dira-t-on, elle était vraiment spéciale, de très forte personnalité et riche de son dés-attachement à la société !

Suite à la demande insolente du directeur, tout le monde s'est mis à taper des pieds sur le plancher, des voix se sont élevées, c'était le chaos total. Alors ce vieil ambitieux puant le RCD s'est mis à ricaner puis nous a crié : si vous êtes des hommes montrez-vous ! Et là, un jeune bizertin s'est levé le visage empourpré par l'émotion, les yeux étincelants de détermination et lui a dit : je suis là !

- Alors tu vas sortir, tu es prêt à sortir avec elle ? (toujours avec son air railleur et son horrible sourire en coin). 

- OUI ! Si elle sort, je sors ! Où est le problème ? 

- Alors vous sortez tous les deux ! répliqua le directeur perdant soudain son sang froid et rouge de fureur.

Et comme le brave étudiant s'apprêtait à quitter la salle avec la jeune fille, tout le monde, tout l'amphi s'est levé d'un bond, sans se consulter, les étudiants se sont levés d'un seul geste et on a quitté les lieux ! J'étais tout excitée mais mon professeur d'habitude si gai était à présent très en colère. On vient de lui faire perdre du temps et de défier son autorité et par le directeur et par les étudiants ! Mais après quelques minutes on  est retournés d'un air triomphal en classe et on a  repris le cours !


قال رسول الله صلى الله عليه و سلم : مثل المؤمنين في توادهم وتراحمهم وتعاطفهم مثل الجسد الواحد إذا اشتكي منه عضو تداعي له سائر الجسد بالسهر والحمي

 رواه كل من البخاري ومسلم وأحمد بن حنبل رحمهم الله
 
C'est cette histoire que je me suis remémorée en sortant bredouille de la classe, j'en voulais à la lâcheté de mes camarades de classe et  amis, j'en voulais à la lâcheté du professeur mais surtout à la détestable secrétaire qui est venue me défier devant tout le monde ! C'est pourquoi j'ai montré un froid glacial face à ce camarade de classe dont je n'ai jamais supporté les regards insistants et qui est venu me "consoler" en murmurant quelques banalités vides de sens. J'avais envie de lui dire va-t-en, lâche moi, je n'ai pas besoin de toi, je retourne illico presto en classe. Qu'elle aille au diable ! Et c'est-ce que j'ai fait après une longue hésitation, je suis retournée en classe et là silence radio, aucun commentaire ! Je regardais le prof parler, certains lui répondre, j'entendais des voix, je percevais des mots, des échos  mais je ne comprenais rien, j'étais trop affectée par ce qui m'est arrivé, j'étais enveloppée par ma solitude, la pire de toutes, celle qu'on ressent au beau milieu du monde et des  gens ! On a marché sur ma dignité, on a piétiné ma liberté et personne n'a bougé... Les garçons qui étaient présents avaient du mal à me regarder dans les yeux à présent, ils savaient bien l'étendue de leur crime, le crime de se taire devant l'injustice et c'est là le crime de tous les tunisiens pendant des années : le silence.

Je ne pourrais jamais achever dans une seule note mes vieux souvenirs de "martyre" grâce au  (je ne peux pas dire "à cause") voile, tous les incidents qui me sont arrivés, toutes les peurs que j'ai essuyées, toutes les railleries, les provocations et les médisances dont j'ai fait l'objet, toutes les réflexions horribles, les hésitations par lesquelles je suis passée : dois-je quitter l'école, interrompre mes études ?  Dieu me pardonnera-t-Il ? Ce policier va-t-il m'interpeller ? Quel sera l'impact de mes signatures répétées  au poste de police ? M'enlèvera-t-on le voile en plein public comme j'ai entendu dire partout ? .. Je dirais simplement qu'à travers cette modeste note je tiens à rendre hommage à toutes les voilées tunisiennes qui ont été persécutées, à toutes les étudiantes qu'on a empêchées d'accéder à leurs facultés, de passer un examen ou de récupérer leur "butin" leur prix à la fin de l'année. Je rends hommage à toutes les voilées aux visages angéliques qu'on a chassées du lycée. Je rends hommage à toutes les femmes qui ne trouvaient pas un emploi parce qu'elles étaient intelligentes, compétentes et .. voilées. Je tiens compte de chaque petite larme, de chaque battement de coeur, de chaque sentiment de désespoir, de solitude et de peur qu'a pu ressentir une soeur quelque part sur ma Tunisie dans l'ère ténébreuse de zaba (il ne mérite pas une majuscule). Je rends hommage enfin à tous les tunisiens et tunisiennes, laïques, athées ou musulmans qui ont soutenu un jour, un moment, la cause ne serait-ce que par la pensée, par un geste insignifiant ! Merci à tous les libres penseurs, à toutes les âmes pures assoiffées de liberté et de justice.

Honte à tous ceux et toutes celles qui ont combattu le voile, qui ont fait de lui leur affaire personnelle, leur raison d'exister, c'était bête à pleurer ! Honte à tous ceux et toutes celles qui ont maltraité, persécuté, causé le moindre chagrin à une soeur tunisienne voilée ! J'ai un message pour vous : je ne pardonne pas, je ne vous ai pas pardonné et je ne vous pardonnerai jamais, pour moi et pour toutes les victimes de votre lâcheté ! Car vous avez été lâches et vous le resterez toujours, c'est que ceux qui ne craignent pas Dieu, Dieu les fait craindre de tout ! Et puis on l'a annoncé hier vous savez ? Désormais on peut avoir nos cartes  d'identité avec le voile dessus, vous savez ce bout de tissu dont vous aviez tellement peur  hein ? Voilà vous êtes informés : "l'habit sectaire" est désormais institutionnalisé, maintenant c'est officiel et ça se passe en Tunisie ! Allah est Grand ! Dieu merci ! 

:قال تعالى 

وَعَدَ اللَّهُ الَّذِينَ آمَنُوا مِنْكُمْ وَعَمِلُوا الصَّالِحَاتِ لَيَسْتَخْلِفَنَّهُم فِي الأَرْضِ كَمَا اسْتَخْلَفَ الَّذِينَ مِنْ قَبْلِهِمْ وَلَيُمَكِّنَنَّ لَهُمْ دِينَهُمُ الَّذِي ارْتَضَى لَهُمْ وَلَيُبَدِّلَنَّهُمْ مِنْ بَعْدِ خَوْفِهِمْ أَمْنًا يَعْبُدُونَنِي لا يُشْرِكُونَ بِي شَيْئًا وَمَنْ كَفَرَ بَعْدَ ذَلِكَ فَأُوْلَئِكَ هُمُ الْفَاسِقُونَ

(النور 55)


هناك 13 تعليقًا:

  1. salam
    C'est ce qu'est j'ai attendu depuis hier!
    je commence à lire tes idées parmouva:D
    très brave note!Chapeau bas chère soeur:)

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  2. Salam Prima,

    Je te lisais sur Kafteji, et depuis quelques mois je suis devenue fan de ton blog, chaque jour, je me précipite à l'ouvrir pour lire tes articles. C'est à la fois ton style d'écriture très passionnant et les sujets intéressants qui m'appellent à les lire.
    Aujourd'hui, ton article me touche particulièrement car en ce moment, et depuis des années, j'endurais toute sorte d'humiliation et de refus rien que pour le fait que je porte le voile. Il est vrai que les faits sont un peu différents, car le mépris en Tunisie, je l'ai vécu à l’aéroport a chaque fois que je rentrais pendant les vacances. Le plus grand mépris, c'est ici en Europe, quand les compétences deviennent insignifiantes devant la tenue vestimentaire. Décidément, moi aussi j'en ai plein le coeur. Désespérée, j'ai perdu le gout d’écrire. Mais ton article m'a beaucoup soulagé car t'as braqué la lumière sur une catégorie de personnes qui ont été rejetée, simplement pour un choix personnel

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  3. Merci Prima pour ce témoignage ! Comme la sœur Anonyme, j'ai des tas de souvenirs concernant le voile mais ailleurs qu'en Tunisie. ça sortira un jour inch'Allah sous une forme littéraire, j'en ai bien l'intention :)

    PS: la scène de tes camardes de classe en prépa m'a donné les larmes aux yeux :') qu'Allah chasse la peur de nos cœurs pour faire face à toute forme d'injustice !

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  4. J'admire ton courage et le courage de toutes celles qui ont du subir ces injustices tous les jours mais le bon coté des choses fait que ça vous a rendu plus forte, plus determinée, plus résistante.
    Le voile aujourd'hui ne représente plus le défi qu'il était avant.

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  5. salam
    très belle note , el 9alb 3al 9alb ;))
    ça m'a rappelé tant de mauvais souvenirs ! :/ Allah la y3awoud'hom!
    moi aussi ça m'as touchée la solidarité de vos camarades de prépa ! Bravo !
    mais il faut pas blâmer les garçons ni qui que ce soit, on avait tous plus ou moins peur ... c'était lâche c'est vrai, mais on pouvait pas faire autrement ..
    inchAllah on ne verra plus ce type de scènes se répéter :)

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  6. al salemou alaykom wa ra7matou Allah :)

    @ Agenda : là tu me fais peur, je veux être tout sauf prévisible :D merci sœurette ^^

    @ Anonyme de Kafteji : eh bien j'en suis ravie et honorée. Merci pour ta fidélité, j'espère ne jamais te décevoir :)

    Eh oui ce n'est pas facile surtout à l'étranger dans les pays soi disant laiques.. mais rappelle toi bien que Al rez9 bi yad elleh, et que kol chay bethwebou, voila ;) Courage ma soeur et puis .. :remz: c'est quoi ton pseudo si je peux me permettre ? :p

    @ Om Maram: merci ma chérie, eh oui je suis sûre que chacune de nous a un tas de souvenirs avec le voile ... pour moi les persécutions c'est de l'histoire ancienne, très ancienne même Dieu merci le voile est un acquis depuis longtemps en Tunisie, mais aujourd'hui plus que jamais, et c'est ça que j'ai voulu fêter à travers cette note, c'est pas pour moi que je parle mais pour nous toutes.

    PS. j'attends ta note alors :D

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  7. @ Anonyme : merci, effectivement comme je le dis toujours "ce qui ne me tue pas, me rend plus forte" ! Dieu merci ! :)

    @ Lili : merci ma chère, oui on était tous +/- coupables de .. silence ! Mes camarades ont pu faire quelque chose la preuve est que 3 ans auparavant tout un amphi a quitté la salle comme je l'ai déjà raconté ! when there's a will, there's a way ;)

    Dieu merci tout ça, c'est passé, dépassé, oublié, JE ME FOUS du passéééééééééééééé (Edith Piaf :D )

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  8. Ah oui je réponds enfin à l'anonyme qui était le premier à commenter hier et dont j'ai supprimé hélas le commentaire plein de mépris, de mauvaise foi et de manque de respect : eh bien je regrette infiniment d'avoir supprimé ton commentaire c'est la 1ère fois que je le fais sur mon blog, j'étais tellement fatiguée hier que j'ai pas voulu te répondre et ton com' était si injuste que je n'ai pas supporté de le laisser sur mon espace à moi :) mais je t'invite à le réécrire si tu veux et je saurais te remettre à ta place (avec grand plaisir :) ) et enfreindre la loi générale que j'ai adoptée : ne jamais répondre à ceux qui ne savent pas discuter avec respect.

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  9. بكيتني الله يهديك
    فكرتني باللذي مضى
    والله كان جيت نعرف نعبر راني كتبت
    حكايات وحكايات
    ربي يجازيك خير
    قداش بكييييييييت وقداش معتدي تغصورت
    الله نصرنا في الاخير
    الحمد لله الحمد لله

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  10. Le sentiment d'être soutenue lors d'une oppression c'est unique, bravo à vos camarades qui t'ont soutenue :)
    l'histoire ne pardonne pas tous ceux qui ont empêchés nos soeurs à porter le voile, j'en suis sur que ces chiens, vu que leurs mâitres sont partis, sentent l'humiliation et la bestialité chaque jour, honte pour eux !
    ton article est comme d'hab, super

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  11. @ Hajer : ellotf 3lik, dmou3ek ghalia .. :') al 7amdou lElleh :)

    @ Khaled : mais justement mes camarades ne m'ont pas soutenue, en prépa si, mais il s'agissait d'une autre fille, c'est comme si c'était moi .. ^^ et puis merci, au plaisir :)

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  12. émouvant Prima, un vrai cadeau <3 merci

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  13. Je t'en prie ma chère Morjéna, merci à toi :))

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