Quand j'étais ado dans une vie antérieure, quand j'étais cette jeune fille fraîche de 17 ans et que j'ai regardé le film d'horreur "Scream" la nuit avec mes soeurs, quand j'ai senti les premiers frissons d'un thriller, je ne pensais pas que viendrait le jour où je saurai vraiment ce que c’est que d'avoir peur, ce que c’est que de marcher et se retourner pour s'assurer que l'homme que je viens de croiser ne va pas se retourner pour me poignarder en plein coeur, pour m'étrangler, pour me harceler, pour me voler, que sais-je ? Les psychopathes ne manquent pas ici bas, dans ma Tunisie à moi, à nous ! Cette Tunisie qui est devenue si hostile bien avant le 14 janvier, car en décembre dernier j'ai déjà eu la peur de ma vie. Je marchais dans cette rue sombre à une vingtaine de mètres de la gare routière de Beb Saadoun, et j'ai vu cette ombre qui s'est approchée de moi. Au début je n'y ai pas prêté attention, je me disais c’est juste un piéton qui a traversé la rue et qui marche dans la même direction que moi. Mais comme l'ombre suivait mon rythme et surtout quand elle s'est mise à parler, j'ai eu peur, le sang s'est gelé dans mes veines, j'ai compris que ce n’est pas juste une ombre, ce n’est pas juste une âme qui cherche à rentrer chez elle par cette froide nuit d'hiver, c'est une âme malveillante qui rôde autour de moi, qui me parle, qui peut me faire ce qu'elle voudra ! On était toutes les deux seules dans cette rue, je voyais déjà les louages à quelques mètres mais ils étaient encore trop loin, cet homme qui est venu me hanter avait tout le loisir de me battre, de me voler, de... Je ne me rappelle plus de ce qu'il m'a dit exactement, j'ai cru saisir des phrases comme "veux-tu me parler ?", "tu me plais", et je ne sais quelles autres bizarreries ! Je me suis rappelée des films d'horreur, et surtout de l'actualité sanglante de mon propre pays, ces kidnappings, ces disparitions, ces viols, ces braquages qui s’enchaînent à un rythme fou au plus grand plaisir des gens comme Abd el Razzek et co ! Je me suis dit c’est comme ça que les crimes se produisent : une jeune fille solitaire, un voyou, une rue déserte et le tour est joué ! Tous les ingrédients de l'épouvante et du crime étaient là ! Alors je me suis dit que je vais l'ignorer( je suis douée pour ça), mais la gare était encore loin, alors je ne sais comment je lui ai dit en lui montrant ma montre dans un geste spontané mais ô combien maladroit, car ma montre était signée et attirante, or j'avais trop peur pour calculer mes pas, je lui ai dit qu'il se fait tard et que je dois attraper le bus ! Et là contre toute attente il s'est arrêté, il a marmonné ah d'accord, ok ! J'ai eu alors le temps de le regarder pour la première fois et j'ai vu un jeune homme d’environ une vingtaine d'année, peut être plus, il semblait comme perdu, un peu fou ! Mais je m'en fous, j'étais trop heureuse de me sauver indemne et de courir vers la station ! Dieu soit loué, j'ai eu plus de peur que de mal !
Mais le mal est revenu, le mal est là, quand aujourd'hui j'étais dans une boutique à faire du shopping (obligée) et que la caissière était angoissée, les rumeurs courent qu'à Beb bhar il y a des individus armés de couteaux qui ont fichu la trouille un peu partout, les gens étaient terrorisés, les boutiques commençaient à fermer, dehors il pleut, je dois rentrer, de toute façon j'ai fini avec les courses. Le métro est trop risqué par les temps qui courent (d’ailleurs il n'y en avait presque pas), les taxis bonne chance avec ça, alors je vais à pieds comme à l'accoutumée. Mais les rues étaient trop désertes, l'obscurité menaçait de s'installer dans moins d'une heure, les rares piétons que je croisais m'inspiraient méfiance et terreur, il suffit qu'un homme s'attarde un peu sur mon visage pour que je stresse, je me sentais à la merci du hasard, comme une noyée menacée par les "dents de la mer" !
Je sais que la liberté est très chère à payer, j'ai toujours été courageuse, je ne me plains pas, même que j'aime bien le suspense, le risque et le mystère. Mais là j'ai cru qu'on allait revenir à la vie normale, qu'on allait retrouver petit à petit notre sérénité qui serait cette fois justifiée par un climat sain de liberté, et non d'un régime policier qui veut instaurer de force sa foutue "stabilité"! Maman tout à l'heure m'a dit en pleurant qu'elle s'inquiète trop pour nous, qu'elle aimerait qu'on n'aille plus au boulot, ni à la faculté mes soeurs et moi, j'ai essayé de la rassurer en lui disant que Dieu s'occupera de nous, qu'Il nous protégera, et qu'on ne pouvait pas s’enfermer chez nous, qu'il fallait que la vie continue, .. mais en même temps, intérieurement, je me disais : et si demain à cette heure je ne serais pas chez moi ? Et si maman se rappellerait de cette discussion comme la dernière qu'elle a jamais eu avec sa fille Imen de 28 ans ? Et si c'était mon destin de croiser le chemin d'un criminel ? Et si c'était demain que j'aurais rendez-vous avec la terreur et que je pousserais un Scream intérieur car j'aurais trop peur pour émettre un son quand on viendra me chercher ? Et si cette fois ce n’est pas juste aux "autres" que le mal arriverait ?